Depuis plusieurs mois, des dirigeants africains et haïtiens appellent à une mobilisation du Sud global pour aider Haïti à sortir de sa crise multiforme. L’idée, ambitieuse mais controversée, repose sur un double levier : renforcer l’investissement de la diaspora et bâtir des partenariats économiques et institutionnels avec l’Afrique.

Haïti : une crise systémique et durable
Haïti traverse l’une des périodes les plus sombres de son histoire contemporaine. L’État s’est effondré à la suite de décennies de mauvaise gouvernance, de catastrophes naturelles et de dépendance internationale. La capitale Port-au-Prince est en partie contrôlée par des groupes armés, qui défient les forces de sécurité et imposent leur loi à des quartiers entiers.
Sur le plan économique, le pays caribéen connaît un chômage massif et une pauvreté endémique. Les services publics essentiels, comme l’éducation et la santé, sont gravement affaiblis. Selon la Banque mondiale, plus de 60 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.
Face à cette situation, de nombreux partenaires traditionnels, comme les États-Unis ou l’Union européenne, se montrent prudents. Les investissements directs étrangers sont rares, en raison de l’insécurité et de la fragilité institutionnelle. C’est dans ce contexte qu’émerge l’idée d’un soutien accru venant non plus du Nord, mais du Sud.
La diaspora haïtienne : un pilier déjà existant
La diaspora haïtienne représente plus de 3 millions de personnes réparties principalement aux États-Unis, au Canada, en France et dans les Caraïbes. Elle envoie chaque année entre 1 et 3 milliards de dollars vers Haïti, soit l’équivalent de plus de 20 % du PIB national. Ces fonds, souvent destinés à la consommation quotidienne et à l’éducation des proches, constituent un filet de survie pour des millions de familles.
Cependant, de nombreux experts estiment que cette aide, bien que vitale, reste insuffisante pour transformer structurellement le pays. Julio Volcy, pasteur et leader communautaire, explique :
« Les transferts d’argent maintiennent des familles hors de la pauvreté extrême, mais ils ne construisent pas des écoles, des hôpitaux ou des routes. »
L’idée d’une réorientation partielle de ces flux vers des investissements productifs revient régulièrement dans les débats. Elle supposerait une meilleure coordination de la diaspora et la mise en place de mécanismes financiers sécurisés.
Pourquoi l’Afrique est appelée à jouer un rôle
Une solidarité historique et symbolique
Haïti fut la première république noire indépendante, née en 1804 d’une révolte d’esclaves qui inspira les mouvements de libération en Afrique et dans le reste du monde. Pour de nombreux Africains, le pays caribéen conserve une valeur symbolique particulière. Sa victoire contre le colonialisme en fit un modèle, mais aussi une cible d’isolement diplomatique.
Aujourd’hui, certains dirigeants africains considèrent qu’il existe une « dette morale » envers Haïti et que la solidarité doit se traduire en actes. Le concept de coopération Sud-Sud — largement promu dans les forums internationaux — offre un cadre pour développer cette dynamique.
Des opportunités concrètes
Les pays africains disposent d’une expérience précieuse dans des domaines qui pourraient profiter à Haïti :
- Sécurité et maintien de l’ordre, dans le cadre de forces régionales ou de missions hybrides.
- Agriculture et sécurité alimentaire, grâce aux coopérations techniques déjà actives entre États africains.
- Énergie et télécommunications, où des champions africains émergents comme MTN ou Dangote Group pourraient partager leur savoir-faire.
- Sport et culture, qui constituent un levier puissant pour tisser des liens et soutenir la jeunesse haïtienne.
Laurent Lamothe, ancien Premier ministre d’Haïti, affirme avoir déjà initié des contacts économiques en Afrique. Selon lui, ces réseaux pourraient servir de tremplin pour des partenariats concrets dans les années à venir.
Les mécanismes financiers envisagés
Obligations de la diaspora
L’un des instruments les plus discutés est celui des « bons de la diaspora ». Inspiré par des expériences en Inde, Israël ou au Rwanda, ce modèle consiste à émettre des obligations achetées par des membres de la diaspora. Les fonds sont ensuite investis dans des projets de développement ciblés.
Dilip Ratha, expert à la Banque mondiale, estime que l’émission de 200 000 obligations à 1 000 USD chacune pourrait mobiliser environ 200 millions USD. Ce montant, bien qu’inférieur aux transferts annuels, aurait l’avantage d’être orienté vers des infrastructures pérennes.
Fonds conjoints Afrique-Haïti
Une autre option serait la création de fonds conjoints, associant des capitaux africains, caribéens et de la diaspora. Ces fonds pourraient cibler des secteurs prioritaires : énergie, santé, logement, routes. Certains évoquent même la possibilité de recourir à des banques panafricaines, comme la Banque africaine de développement (BAD), pour garantir ces investissements.
Coopérations sportives et culturelles
Au-delà des financements classiques, les coopérations sportives sont régulièrement évoquées. Haïti dispose d’un fort potentiel en football et en athlétisme, mais manque d’infrastructures. Des partenariats avec des académies africaines pourraient renforcer la formation des jeunes sportifs haïtiens.
De même, des échanges culturels et universitaires contribueraient à créer un sentiment d’appartenance et de solidarité, tout en favorisant la mobilité de la jeunesse.
Les obstacles majeurs
Gouvernance et corruption
Le principal frein à toute coopération reste la faiblesse de l’État haïtien. Sans structures fiables pour superviser les projets, les risques de détournement et de corruption demeurent élevés. Plusieurs initiatives internationales passées ont échoué pour ces raisons, alimentant la méfiance des bailleurs.
Un rapport de l’ONU souligne que « la défiance envers les institutions haïtiennes est telle que même les partenaires bienveillants hésitent à investir sans garanties extérieures ».
Fragmentation de la diaspora
La diaspora haïtienne, bien que nombreuse, reste fragmentée entre plusieurs pays d’accueil. Elle peine à parler d’une seule voix ou à organiser des initiatives collectives de grande ampleur. Cette dispersion affaiblit son influence politique et économique.
Contraintes africaines
Les États africains eux-mêmes font face à de lourds défis internes. Beaucoup doivent gérer des dettes croissantes, des inégalités sociales et des instabilités politiques. Dans ce contexte, consacrer des ressources à Haïti peut paraître difficile, voire impopulaire.
Analyse des perspectives
Les appels à une solidarité Sud-Sud ne sont pas nouveaux. Mais la situation haïtienne, aggravée par la violence des gangs et l’absence de perspectives politiques, rend aujourd’hui cette proposition plus pressante.
Certains analystes estiment qu’un partenariat structuré entre Haïti, l’Afrique et la diaspora pourrait produire un effet de levier inédit, notamment en matière de symbolique politique et de renforcement des capacités locales.
D’autres soulignent toutefois que sans réforme profonde de l’État haïtien, ces efforts resteront vains. Comme le résume un expert en développement basé à Dakar :
On ne peut pas bâtir un pont si les deux rives ne sont pas solides. L’Afrique peut tendre la main, mais Haïti doit renforcer ses fondations.
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Regard vers l’avenir
Haïti reste à un tournant décisif. La mobilisation de la diaspora et le soutien de l’Afrique ne suffiront pas à « sauver » le pays. Mais ils pourraient marquer un changement de paradigme, en donnant aux Haïtiens un rôle central dans leur propre redressement et en renforçant les solidarités entre peuples du Sud.
Comme le dit Julio Volcy :
Il ne s’agit pas de charité, mais de partenariat. Haïti ne veut pas être sauvé. Haïti veut se relever, avec ses frères et sœurs d’Afrique à ses côtés.