Ce trimestre, le commerce extérieur d’Haïti présente des signes alarmants : les importations se renforcent alors que les exportations reculent. ce phénomène souligne les défis de souveraineté économique du pays. Les autorités haïtiennes, les experts économiques et les partenaires internationaux s’interrogent : s’agit-il d’une crise durable ou d’un tournant vers un redressement ?

Le bilan commercial actuel : un déséquilibre accentué
Une dépendance massive aux importations
Les données les plus récentes indiquent une progression constante des importations. Sur une année, elles ont augmenté de près de 12 %, portées par les produits alimentaires, énergétiques et manufacturés. Les biens de consommation courante comme le riz, l’huile ou la farine représentent une part importante de cette facture extérieure.
En proportion du produit intérieur brut, les importations de biens et services atteignent près d’un cinquième de l’économie nationale. Cette dépendance illustre la difficulté du pays à produire localement ce qu’il consomme, accentuant un déficit commercial déjà chronique.
Exportations en repli : un renversement inquiétant
Les exportations, qui reposent principalement sur le textile, l’agroalimentaire et quelques filières agricoles comme le café ou la mangue, ont reculé de 7 % ce trimestre. Ce déclin s’ajoute à une tendance plus large observée ces dernières années, marquée par une perte de compétitivité.
Le secteur textile, qui bénéficie de régimes préférentiels avec les États-Unis, demeure dominant mais vulnérable aux aléas politiques et logistiques. L’agroalimentaire souffre, quant à lui, d’un manque d’investissements et de problèmes d’infrastructures qui empêchent une montée en volume et en qualité.
Le cas du commerce avec les États-Unis
Les États-Unis restent le premier partenaire commercial d’Haïti. Le pays y exporte principalement des vêtements et quelques produits agricoles transformés, tout en important des denrées alimentaires, des machines et du carburant. Cette relation asymétrique illustre à la fois l’intégration régionale et la dépendance d’Haïti à un partenaire unique.
Mécanismes à l’œuvre : pourquoi un tel bouleversement ?
Inflation, crise de change et pression sur les équipements
Haïti subit une inflation élevée, estimée à plus de 20 % sur un an. Cette hausse des prix fragilise le pouvoir d’achat et stimule la demande pour des produits importés subventionnés ou perçus comme plus fiables. Le taux de change instable pèse également sur les exportateurs, qui peinent à rester compétitifs sur les marchés mondiaux.
Instabilité politique, sécurité et obstacles logistiques
La situation sécuritaire reste un obstacle majeur. Des gangs contrôlent des portions stratégiques de Port-au-Prince, perturbant les corridors de transport et ralentissant les opérations portuaires. Chaque interruption entraîne des retards coûteux, des pertes de cargaisons et une diminution de la confiance des partenaires étrangers.
Un économiste haïtien résume ainsi la situation : « Chaque semaine de blocage logistique fait perdre des contrats d’exportation, notamment dans le textile. »
Structure productive archaïque
La base industrielle haïtienne demeure fragile. Le pays dépend largement de l’assemblage de produits importés, sans grande valeur ajoutée locale. Le manque d’investissements dans la modernisation, la formation technique et la recherche limite la capacité de diversification.
Résultat : Haïti importe ses intrants et ses équipements, tout en exportant des produits à faible marge, ce qui entretient le déséquilibre commercial.
Effets de la diaspora et des transferts financiers
Les transferts de fonds envoyés par la diaspora représentent plus de 20 % du PIB. Ils constituent un filet de sécurité pour de nombreuses familles et permettent de maintenir une demande de biens essentiels. Toutefois, ces flux alimentent souvent la consommation de produits importés plutôt que le développement d’une production locale.
Signes de redressement ou pistes d’espoir ?
Réformes incitatives et soutien aux filières exportatrices
Le gouvernement a annoncé des programmes de soutien aux filières du café, du cacao et de la mangue, visant à améliorer la qualité et à mieux pénétrer les marchés internationaux. Ces mesures incluent la formation des producteurs, le développement de coopératives et la modernisation des infrastructures de stockage.
Rééquilibrage macroéconomique
La stabilisation du taux de change et une meilleure discipline budgétaire constituent des priorités. La Banque centrale tente de renforcer les réserves de devises afin de contenir la volatilité monétaire et d’atténuer les pressions inflationnistes.
La coordination avec les bailleurs internationaux est également cruciale pour sécuriser des financements destinés à l’infrastructure et à la relance productive.
Diversification des marchés et des produits
Haïti cherche à élargir ses débouchés au-delà des États-Unis. Des discussions portent sur un renforcement des liens avec les pays voisins de la Caraïbe et avec l’Union européenne. La montée en gamme, notamment par la transformation locale et la certification de qualité, est perçue comme un levier indispensable pour regagner de la compétitivité.
Risques persistants et scénarios défavorables
Sarcophage d’endettement et choc extérieur
Une dépendance excessive aux importations financées par la dette pourrait conduire à une crise de la balance des paiements. Un choc extérieur, tel qu’une hausse brutale des prix du pétrole ou une crise financière internationale, amplifierait les vulnérabilités actuelles.
Dégradation sécuritaire et rupture logistique
Si l’insécurité s’étend aux zones agricoles, les capacités de production pourraient être gravement compromises. La fermeture de ports ou de routes stratégiques paralyserait non seulement les exportations, mais aussi l’approvisionnement de biens vitaux.
Surconfiance et fausses promesses
Un redressement superficiel, porté uniquement par des flux financiers temporaires ou des aides ponctuelles, risque de masquer des déséquilibres profonds. Sans réforme structurelle, la dépendance et la fragilité économique persisteront.
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Comparaisons régionales et leçons à tirer
La comparaison avec des voisins comme la République dominicaine met en évidence le contraste. Cette dernière a su diversifier ses exportations, investir dans le tourisme et l’agro-industrie, et moderniser ses infrastructures portuaires.
La Jamaïque, malgré ses propres défis, bénéficie d’un environnement logistique plus fiable et d’une stabilité institutionnelle supérieure. Ces expériences montrent qu’un redressement crédible repose sur la diversification, la stabilité politique et l’investissement à long terme.
Perspectives et enjeux à surveiller
Ce trimestre révèle un basculement clair : les importations dominent, les exportations reculent, et le déficit extérieur s’élargit. Le de ce bouleversement est à double tranchant : il signale autant une crise structurelle qu’une opportunité de relance.
L’avenir du commerce extérieur haïtien dépendra de la capacité des autorités à instaurer un climat sécurisé, à attirer des investissements et à soutenir la production locale. Les choix faits dans les mois à venir pourraient décider si le pays s’enfonce davantage dans la dépendance ou amorce un véritable redressement.
Comme le résume l’économiste Kesner Pharel : « Le véritable test sera la capacité à stabiliser l’environnement interne et à investir dans la production locale.