Le Premier ministre Sébastien Lecornu a annoncé être prêt à intégrer plusieurs revendications de la gauche dans le prochain budget de la France. Cette ouverture, inédite depuis l’arrivée de son gouvernement en septembre 2025, survient dans un contexte d’extrême fragilité politique. Faute de majorité à l’Assemblée nationale, Lecornu cherche à éviter une crise institutionnelle et à construire un compromis sur des mesures fiscales et sociales jugées prioritaires par une large partie de l’opposition.

L’ouverture budgétaire de Sébastien Lecornu constitue un pari risqué. En reprenant des mesures longtemps réclamées par la gauche, il tente de désamorcer la contestation et de bâtir une majorité d’idées à défaut d’une majorité politique. Mais les résistances restent fortes, tant du côté des oppositions que dans la rue. Le prochain budget, qualifié d’« explosif », pourrait bien décider de l’avenir du gouvernement et, plus largement, de la stabilité politique de la France.
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Contexte Politique : Un Gouvernement en Equilibre Instable
Une Assemblée fragmentée
Depuis les élections législatives de 2024, la France traverse une crise politique sans précédent. Aucun bloc ne dispose de la majorité absolue. La coalition présidentielle s’appuie sur un socle réduit, dépendant du soutien ponctuel de groupes minoritaires pour faire adopter ses textes. À gauche, le Parti socialiste (PS), La France insoumise (LFI) et les écologistes forment un front hétérogène mais influent. À droite, Les Républicains et le Rassemblement national (RN) exploitent l’instabilité pour accroître leur influence.
Le défi du budget 2026
Le dépôt du projet de loi de finances est prévu à la mi-octobre 2025. Or, ce texte est considéré comme l’épreuve politique majeure de tout gouvernement, puisqu’il définit la trajectoire économique et sociale du pays pour l’année suivante. Sans majorité stable, l’exécutif s’expose à un rejet pur et simple ou à une motion de censure, pouvant conduire à la chute du gouvernement. Dans ce contexte, Lecornu adopte une stratégie de compromis inédit, allant jusqu’à reprendre certaines propositions de la gauche.
Mesures Envisagées : Un Virage Prudent
Allègement fiscal ciblé
Le Premier ministre a évoqué un allègement de charges sociales pour les travailleurs aux revenus modestes, notamment via une défiscalisation des heures supplémentaires. L’objectif est double : améliorer le pouvoir d’achat et soutenir l’activité économique sans fragiliser les finances publiques.
Par ailleurs, des ajustements de l’impôt sur le revenu sont à l’étude pour les ménages proches du SMIC ou légèrement au-dessus. Cette mesure répond directement à une revendication du PS, qui demande depuis plusieurs années une meilleure progressivité de l’impôt en faveur des classes populaires et moyennes.
Relance de la prime Macron
Autre piste envisagée : la réintroduction de la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat, surnommée « prime Macron », exonérée de charges sociales. Cette mesure avait été instaurée en 2019 pour répondre au mouvement des « gilets jaunes ». Elle permet aux entreprises, sur la base du volontariat, de verser une prime défiscalisée à leurs salariés. Lecornu espère ainsi offrir un levier rapide et ciblé pour soutenir les ménages en difficulté face à l’inflation persistante.
Transmission patrimoniale et solidarité intergénérationnelle
Le gouvernement étudie également la possibilité de faciliter les transmissions de patrimoine vers les jeunes générations, notamment les petits-enfants. L’objectif affiché est de favoriser la solidarité intergénérationnelle tout en évitant de creuser les inégalités. Cette mesure s’inscrit dans une logique différente de celle défendue par la gauche radicale, mais elle reprend néanmoins un thème cher aux écologistes et aux socialistes : soutenir l’installation des jeunes adultes dans la vie active.
L’impôt Sur la Fortune : La Ligne Rouge
Une revendication historique de la gauche
Depuis sa suppression en 2018, l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) est devenu l’un des symboles les plus clivants de la vie politique française. La gauche réclame son rétablissement intégral, estimant que la concentration des richesses impose une contribution accrue des plus fortunés. Plusieurs formations, dont LFI et le PS, proposent même d’aller plus loin, en instaurant une « taxe Zucman » sur les ultra-riches, inspirée des travaux de l’économiste Gabriel Zucman.
La réponse prudente de Lecornu
Le Premier ministre a rejeté toute perspective immédiate de retour de l’ISF. Toutefois, il a laissé entendre qu’une réflexion plus large sur la fiscalité du patrimoine pourrait être engagée. Lecornu précise qu’il n’est pas question de taxer les biens professionnels, afin de ne pas décourager l’investissement et l’entrepreneuriat. Cette position vise à rassurer les milieux économiques, tout en donnant un signal d’ouverture à la gauche réformiste.
Réactions de la Gauche et des Syndicats
Des annonces jugées insuffisantes
Si le Parti socialiste a salué une « avancée symbolique », son premier secrétaire Olivier Faure a rapidement exprimé des réserves. Selon lui, les propositions restent « très en deçà » des attentes sociales. La gauche réclame des mesures plus ambitieuses : suppression de la Contribution sociale généralisée (CSG) pour les bas revenus, renforcement des services publics et lutte accrue contre l’évasion fiscale.
La pression de La France insoumise
Du côté de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon a dénoncé une « opération cosmétique », estimant que les mesures annoncées ne changent rien à la logique budgétaire du gouvernement. LFI a déjà évoqué la possibilité de déposer une motion de censure dès le dépôt du projet de loi de finances. Cette stratégie pourrait mettre le gouvernement en grande difficulté si d’autres formations s’y ralliaient.
Le rôle des syndicats
Les grandes centrales syndicales, notamment la Confédération générale du travail (CGT) et la Confédération française démocratique du travail (CFDT), observent attentivement les discussions. Certaines revendications, comme l’allègement fiscal sur les bas salaires, rejoignent leurs priorités. Mais la méfiance demeure forte, en particulier après les réformes contestées sur les retraites et le travail menées au cours des années précédentes.
Enjeux Financiers : Un équilibre Difficile
Trouver 40 milliards d’euros
L’un des principaux défis du gouvernement réside dans la nécessité de dégager environ 40 milliards d’euros d’économies pour équilibrer le budget 2026. Cet objectif est jugé particulièrement ambitieux dans un contexte de ralentissement économique et de déficit public élevé.
Abandon des jours fériés supprimés
L’exécutif a déjà dû renoncer à une mesure controversée : la suppression de deux jours fériés, initialement proposée par l’ancien ministre François Bayrou. Cette décision, fortement critiquée par l’opinion publique et rejetée par la plupart des syndicats, prive le gouvernement d’une source d’économies évaluée à plusieurs milliards d’euros.
La recherche de compromis techniques
Pour éviter de braquer davantage l’opinion, Lecornu mise sur des ajustements plus discrets. Il privilégie des mesures fiscales ciblées, des réductions de niches fiscales jugées inefficaces et une rationalisation des dépenses de l’État. L’idée est de trouver un compromis acceptable, sans recourir à des symboles explosifs qui alimenteraient la contestation.
Stratégie Parlementaire : Séduire Sans se Renier
Séduire la gauche républicaine
La stratégie du Premier ministre repose sur une ouverture vers la gauche dite « républicaine » : socialistes, écologistes modérés et communistes. Ces groupes pourraient constituer une base de soutien ponctuel, permettant d’éviter une censure et d’assurer le passage du budget.
Le dilemme du Rassemblement national
Lecornu refuse pour l’instant toute alliance explicite avec le Rassemblement national. Cependant, l’ombre du parti de Marine Le Pen plane sur les débats. Une abstention stratégique du RN pourrait suffire à faire passer le budget, mais au prix d’un coût politique considérable pour le gouvernement.
Le recours possible au 49.3
En dernier recours, le Premier ministre pourrait utiliser l’article 49.3 de la Constitution, qui permet d’imposer un texte sans vote, sauf en cas de motion de censure adoptée. Cet outil, déjà utilisé à plusieurs reprises sous les gouvernements précédents, reste extrêmement impopulaire. Son usage fragiliserait davantage la légitimité du gouvernement.
Vers Un Nouveau Plan Pour Transformer Les Épargnants En Investisseurs
Perspectives : un calendrier serré
Le projet de loi de finances doit être présenté dans les prochaines semaines. Chaque jour de retard réduit les marges de manœuvre de l’exécutif et accroît le risque d’échec parlementaire. D’ici là, Lecornu devra convaincre à la fois ses propres soutiens, les partenaires sociaux et une partie de l’opposition.
À court terme, le gouvernement espère calmer la contestation sociale en donnant des gages sur le pouvoir d’achat. Mais à moyen terme, la question de l’équilibre budgétaire demeure entière. La capacité de Lecornu à naviguer entre ouverture politique et rigueur financière déterminera la survie de son gouvernement.

















