Les dernières prévisions économiques concernant Haïti ont surpris plus d’un observateur. Après plusieurs années de récession, certains chiffres évoquent un possible retour de la croissance du produit intérieur brut (PIB) dès 2025. Ce scénario contraste avec la crise persistante qui frappe le pays, marquée par l’instabilité politique, la violence généralisée des gangs et l’effondrement des institutions publiques. La question demeure : assiste-t-on réellement à un début de redressement, ou ces projections masquent-elles une fragilité structurelle encore plus profonde ?
Les chiffres de croissance du PIB pour 2025 suscitent des attentes mais aussi de nombreux doutes. Haïti demeure prisonnier d’une crise multidimensionnelle : insécurité chronique, faiblesse institutionnelle, inflation persistante et dépendance extérieure. Les prévisions optimistes apparaissent fragiles tant que ces problèmes structurels ne sont pas résolus.

Pour la population, la véritable question n’est pas seulement de savoir si le PIB augmentera ou non, mais si cette croissance se traduira par une amélioration tangible du quotidien. Le défi est immense. Comme l’ont rappelé plusieurs analystes, Haïti ne manque pas de ressources ni de résilience, mais seule une stabilité politique et sécuritaire durable pourra permettre à l’économie de se reconstruire.
Haïti en 2024 : une économie exsangue
Avant de comprendre pourquoi des prévisions plus optimistes émergent pour 2025, il est essentiel de dresser le bilan de la situation actuelle. L’année 2024 a été catastrophique sur le plan économique. Le pays a enregistré une contraction de son activité, confirmant une tendance observée depuis plus d’une décennie.
L’inflation a continué à rogner le pouvoir d’achat des ménages. Elle est restée l’une des plus élevées de la région, alimentée par la dépréciation de la monnaie locale et par des difficultés d’approvisionnement liées à l’insécurité. Le chômage massif, combiné à la dépendance à l’égard de l’économie informelle, a accentué la précarité de millions d’Haïtiens.
Les finances publiques se sont enfoncées dans la crise : les recettes fiscales demeurent extrêmement faibles, conséquence de la corruption, de l’évasion et surtout de l’incapacité de l’État à collecter des impôts dans de larges zones du territoire contrôlées par les gangs. L’État central, déjà fragilisé, peine ainsi à financer les services essentiels, ce qui accroît encore le cercle vicieux de la défiance et de la désorganisation.
Les prévisions 2025 : croissance surprise ou mirage ?
Malgré ce tableau sombre, plusieurs projections laissent entrevoir un rebond du PIB en 2025. Certaines institutions internationales estiment qu’Haïti pourrait voir son économie se stabiliser, voire enregistrer une légère croissance. D’autres anticipent au contraire une nouvelle contraction, même si elle serait moins marquée qu’en 2024.
Ces divergences s’expliquent par l’incertitude extrême qui entoure la trajectoire économique du pays. Un redressement, même faible, supposerait des conditions politiques et sécuritaires plus stables, une mobilisation accrue de l’aide internationale et des efforts notables de réforme interne. Mais ces conditions apparaissent aujourd’hui difficiles à réunir.
Les obstacles persistants
Violence et insécurité
La principale barrière à tout redémarrage économique reste la violence. Les gangs armés contrôlent de vastes portions de la capitale Port-au-Prince et plusieurs corridors stratégiques du pays. Ils bloquent régulièrement les axes de circulation, paralysent les ports et rançonnent les populations. Cette situation a un coût économique direct : hausse des prix, raréfaction des biens, ralentissement des échanges.
Au-delà des pertes immédiates, l’insécurité compromet les perspectives d’investissement. Aucun acteur privé, national ou étranger, ne peut raisonnablement envisager de développer ses activités dans un contexte aussi imprévisible. Tant que la sécurité ne sera pas rétablie, toute croissance durable restera hors de portée.
Fragilité institutionnelle
Les institutions haïtiennes souffrent d’un déficit de légitimité et d’efficacité. Le système judiciaire, gangrené par la corruption, ne parvient pas à appliquer la loi. L’administration publique est sous-financée et parfois inexistante dans certaines zones rurales. Quant à la classe politique, elle peine à trouver un consensus pour stabiliser le pays.
Dans ces conditions, même des programmes de relance financés par des partenaires étrangers risquent de s’enliser. Les fonds peuvent être détournés, mal utilisés ou simplement inefficaces faute de relais locaux fiables.
Pression inflationniste et pauvreté
L’inflation reste un autre obstacle majeur. Elle est alimentée par la dépendance aux importations, en particulier pour les denrées alimentaires et le carburant. Chaque choc sur les prix mondiaux se répercute fortement en Haïti. L’affaiblissement constant de la gourde, la monnaie locale, accentue encore cette spirale.
Pour la population, cela se traduit par une diminution constante du pouvoir d’achat. Les ménages les plus pauvres, qui consacrent déjà une part importante de leurs revenus à la nourriture, sont les premiers touchés. Or, sans amélioration de la consommation intérieure, il sera difficile d’envisager une reprise solide.
Les leviers potentiels de croissance
Rétablissement de la sécurité
Le facteur déterminant reste la restauration d’un minimum d’ordre public. Des initiatives locales et internationales sont en cours pour renforcer la police nationale et rétablir l’autorité de l’État dans les zones les plus critiques. Si ces efforts aboutissaient, même partiellement, l’impact serait immédiat sur la confiance des ménages et des entreprises.
Aide internationale accrue
Haïti demeure l’un des pays les plus dépendants de l’aide extérieure. En 2025, plusieurs bailleurs de fonds pourraient accroître leur soutien, à condition que les conditions politiques évoluent. Des programmes d’appui budgétaire, d’aide humanitaire et d’investissements dans les infrastructures sont envisagés. Leur efficacité dépendra toutefois de la capacité du pays à en assurer une gestion transparente.
Diaspora et transferts de fonds
La diaspora haïtienne joue un rôle central dans l’économie du pays. Ses envois de fonds constituent l’une des principales sources de devises, représentant une part significative du PIB. Si les transferts se maintiennent ou augmentent en 2025, ils pourraient soutenir la consommation intérieure et offrir un certain répit à l’économie.
Agriculture et résilience locale
Malgré les difficultés, l’agriculture demeure un secteur stratégique. Une relance de la production vivrière, grâce à des programmes ciblés et à la sécurisation de certaines zones rurales, pourrait réduire la dépendance aux importations et stimuler la croissance locale. Mais ce scénario suppose des investissements que l’État peine pour l’instant à réaliser.
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Scénarios possibles pour 2025
Scénario optimiste
Dans ce scénario, une amélioration relative de la sécurité permettrait aux flux économiques de reprendre progressivement. L’aide internationale affluerait et des réformes minimales seraient mises en place pour rassurer les bailleurs de fonds. Le PIB pourrait alors enregistrer une croissance faible mais positive, de l’ordre de 1 à 2 %.
Scénario pessimiste
Si l’insécurité s’aggrave et que les institutions continuent de se déliter, l’économie pourrait connaître une nouvelle contraction. L’inflation resterait élevée, la pauvreté s’accentuerait et l’État verrait ses marges de manœuvre budgétaires encore réduites. Le PIB reculerait alors de 2 à 3 %.
Scénario de stagnation
Un troisième scénario, jugé plus probable par plusieurs observateurs, est celui d’une stagnation. L’économie n’afficherait ni véritable rebond ni effondrement supplémentaire, se maintenant dans une zone de croissance proche de zéro. Ce statu quo prolongerait la crise sociale et politique sans offrir de perspectives de sortie.
Enjeux pour la population
Au-delà des chiffres, ce sont les conditions de vie des Haïtiens qui sont en jeu. La majorité de la population vit sous le seuil de pauvreté et n’a pas accès à des services de base fiables comme l’eau potable, l’électricité ou les soins de santé. Une légère reprise économique en 2025 ne suffira pas à transformer cette réalité.
Ce qui est en jeu, c’est la possibilité de restaurer un minimum de stabilité, afin que l’économie retrouve des bases solides. La sécurité alimentaire, l’éducation et l’emploi des jeunes sont des priorités qui conditionneront l’avenir du pays.